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« Le Téléphone carnivore » : fais-nous peur, Jo Nesbo !

« Le Téléphone carnivore » (Natthuset), de Jo Nesbo, traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier, Gallimard, « Série noire », 288 p., 19 €, numérique 14 €.
Que se passe-t-il donc à Ballantyne, petite ville paisible – que l’on suppose située aux Etats-Unis – devenue le théâtre de disparitions inquiétantes d’adolescents ? La première est celle d’un dénommé Tom, un jeune homme timide, bègue et introverti, qui traîne son ennui avec Richard, une sorte de petite terreur de cour de récréation. Les deux jeunes décident de faire un canular. Direction la première cabine téléphonique. Mais rien ne se passe comme prévu. Le téléphone finit par engloutir ce pauvre Tom sous le regard impuissant de son camarade. Quelques jours plus tard, Jack, un autre ami de Richard, vient jouer avec lui dans sa chambre. Cette fois, il se transforme en insecte : « Oui, sous mes yeux, il devenait de plus en plus petit et n’était plus si menaçant. Si ce n’est qu’il avait désormais le crâne surmonté de deux antennes et une paire de pattes articulées partant de l’abdomen. »
Evidemment, personne ne croit Richard. Pour tous, notamment le shérif, c’est lui le coupable. Il se retrouve en ­maison de correction. Avec un objectif : s’évader le plus vite possible pour rejoindre Karen, la seule personne qui le pense innocent.
Difficile d’en dire plus sur Le Téléphone carnivore sans risquer de trop en dévoiler. Ce roman d’horreur, qui mêle habilement intrigue policière et éléments fantastiques, tranche avec les autres œuvres du prolifique Norvégien Jo Nesbo. On ne retrouvera pas le flic torturé et alcoolique Harry Hole qui, depuis treize romans et près de trente ans (L’Homme chauve-souris, le premier tome, a été ­publié en 1997 et traduit en français en 2002 chez Gallimard), emmène les lecteurs dans les recoins obscurs de la société scandinave. Car cette fois, il ausculte la middle class américaine, son ­conservatisme et sa bien-pensance, qui étouffent les jeunes « différents », sans autres choix que de se transformer pour vivre en paix.
Ce livre est surtout l’occasion pour Nesbo de montrer sa polyvalence. Est-ce vraiment étonnant ? L’itinéraire de l’écrivain est aussi déroutant que son livre. Il a failli devenir footballeur avant de se blesser aux ligaments croisés. Puis il est devenu courtier en bourse et journaliste écono­mique. Il a été le chanteur, guitariste et auteur-compositeur d’un groupe de rock qui connut une certaine popularité en Norvège, Di Derre.
Nesbo nous avait déjà surpris avec une adaptation de Macbeth, de Shakespeare, sous la forme d’un thriller sombre où les références au cinéma étaient légion (Gallimard, 2018). Une vraie réussite. Dans Le Téléphone carnivore, l’auteur a parsemé son livre de clins d’œil. La ville de Ballantyne ressemble à s’y méprendre aux paisibles villes américaines des romans de Stephen King. On relève également plusieurs allusions à La Métamorphose, de Franz Kafka (1915), et à Sa majesté des mouches, de William Golding (Gallimard, 1956). Et l’on pense aussi à la série Stranger Things (depuis 2016), tout comme au roman Shutter Island, de Dennis Lehane (Rivages, 2003). Ce mélange aurait pu être indigeste mais il n’en est rien : le retournement final donne toute la cohérence à ce récit plus complexe qu’il n’y paraît et où tout s’explique dans les dernières pages.

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